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Science sacrée et science profane René GUENON La crise du monde moderne

Science sacrée et science profane René GUENON La crise du monde moderne

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Comment faire la part entre la science dite sacrée et la science profane? Ici René GUENON nous ouvre des portes de réflexions.

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René Guénon, a French author, philosopher, and esotericist, defended tradition against the modern world in his works. He believed in the importance of metaphysical knowledge and the hierarchy of sciences. He argued that traditional civilizations valued intuition and saw all knowledge as dependent on absolute and universal principles. In contrast, modern science separates itself from any higher principles and denies their existence. Guénon emphasized the need to unify knowledge and preserve traditional wisdom in the face of materialistic modernity. Chapitre 4. René Guénon à la crise du monde moderne, chez Folio Essai, maison Gallimard. René Guénon, influence Alexandre Douguin qui est le maître en pensée de Vladimir Poutine. René Guénon, né à Blois dans les années 1800, exactement en novembre 1886, est mort en Égypte le 7 janvier 1951. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages sur l'ésotérisme. Il était soufiste, maître soufi et franc-maçon. L'idée principale est de défendre la tradition contre le monde moderne purement matérialiste. Il pratique l'ésotérisme, les sciences occultes. Chapitre 4. Sciences sacrées et sciences profanes, la crise du monde moderne, René Guénon. Dans les civilisations qui possèdent le caractère traditionnel, l'intuition intellectuelle est au principe de tout. En d'autres termes, c'est la pure doctrine métaphysique qui constitue l'essentiel et tout le reste s'y rattache à titre de conséquence ou d'application aux divers ordres de réalité contingente. Il en est ainsi notamment pour les institutions sociales. Et d'autre part, la même chose est vraie aussi en ce qui concerne les sciences, c'est-à-dire les connaissances rapportant au domaine du relatif, et qui, dans de telles civilisations, ne peuvent être envisagées que comme de simples dépendances et, en quelque sorte, comme des prolongements ou des reflets de la connaissance absolue et principielle. Ainsi, la véritable hiérarchie est partout et toujours observée. Le relatif n'est point tenu pour inexistant, ce qui serait absurde. Il est pris en considération dans la mesure où il mérite de l'être, mais il est mis à sa juste place qui ne peut être qu'une place secondaire et subordonnée. Et dans ce relatif même, il y a des degrés fort divers selon qu'il s'agit de choses plus ou moins éloignées du domaine des principes. Il y a donc, en ce qui concerne les sciences, deux conceptions radicalement différentes et même incompatibles entre elles que nous pouvons appeler la conception traditionnelle et la conception moderne. Nous avons eu souvent l'occasion de faire allusion à ces sciences traditionnelles qui existèrent dans l'Antiquité au Moyen-Âge, qui existent toujours en Orient, mais dont l'idée même est totalement étrangère aux occidentaux de nos jours. Il faut ajouter que chaque civilisation a eu des sciences traditionnelles d'un type particulier qui lui appartenant en propre, car ici nous ne sommes plus dans l'ordre des principes universels auxquels se rapporte seule la métaphysique pure, mais dans l'ordre des adaptations où, par là même, qu'il s'agit d'un domaine contingent, il doit être tenu compte de l'ensemble des conditions mentales et autres qui sont celles de tel peuple déterminé, et nous dirons même de telles périodes de l'existence de ce peuple puisque nous avons vu plus haut qu'il y a des époques où des réadaptations deviennent nécessaires. Ces réadaptations ne sont que des changements de forme qui ne touchent en rien à l'essence même de la tradition. Pour la doctrine métaphysique, l'expression seule peut être modifiée d'une façon qui est assez comparable à la traduction d'une langue dans une autre. Quelles que soient les formes dont elles s'enveloppent pour s'exprimer dans la mesure où cela est possible, il n'y a absolument qu'une métaphysique comme il n'y a qu'une vérité. Mais quand on passe aux applications, le cas est naturellement différent. Avec les sciences, aussi bien qu'avec les institutions sociales, nous sommes dans le monde de la forme et de la multiplicité. C'est pourquoi l'on peut dire que d'autres formes constituent véritablement d'autres sciences, même si elles ont au moins partiellement le même objet. Les logiciens ont l'habitude de regarder une science comme entièrement définie par son objet, ce qui est inexact par excès de simplification. Le point de vue sous lequel cet objet est envisagé doit aussi entrer dans la définition de la science. Il y a une multitude indéfinie de sciences possibles. Il peut arriver que plusieurs sciences étudient la même chose, mais sous des aspects tellement différents, donc par des méthodes et avec des intentions tellement différentes aussi, qu'elles n'en sont par moins des sciences réellement distinctes. Ce cas peut en particulier se présenter pour les sciences traditionnelles de civilisations diverses, qui, bien que comparables entre elles, ne sont pourtant pas toujours assimilables les unes aux autres, et souvent ne pourraient qu'abusivement être désignées par les mêmes noms. La différence est encore beaucoup plus considérable, cela va de soi, si au lieu d'établir une comparaison entre des sciences traditionnelles, qui du moins ont toutes le même caractère fondamental, on peut comparer ces sciences d'une façon générale aux sciences telles que les modernes les conçoivent. A première vue, il peut sembler parfois que l'objet soit le même de part et d'autre, et pourtant la connaissance que les deux sortes de sciences donnent respectivement de cet objet est tellement autre, qu'on hésite, après plus ample examen, à affirmer encore l'identité même sous un certain rapport seulement. Quelques exemples ne seront pas inutiles pour faire mieux comprendre ce dont il s'agit, et tout d'abord nous prendrons un exemple d'une portée très étendue, celui de la physique, telle qu'elle est comprise par les anciens et par les modernes. Il n'est d'ailleurs aucunement besoin, dans ce cas, de sortir du monde occidental pour voir la différence profonde qui sépare les deux conceptions. Le terme de physique, dans son exception première et étymologique, ne signifie pas autre chose que science de la nature, sans aucune restriction. C'est donc la science qui concerne les lois les plus générales du devenir, car nature et devenir sont au fond synonymes et c'est bien ainsi que l'entendaient les grecs et notamment Aristote. Il existe des sciences plus particulières se rapportant au même ordre, elles ne sont alors que des spécifications de la physique pour tel ou tel domaine plus étroitement déterminé. Il y a donc déjà quelque chose d'assez significatif dans la déviation que les modernes ont fait subir à ce mot de physique, en l'employant pour désigner exclusivement une science particulière parmi d'autres sciences, qui, toutes, sont également des sciences de la nature. Ce fait se rattache à la fragmentation que nous avons déjà signalée comme un des caractères de la science moderne. Cette spécialisation engendrée par l'esprit d'analyse est poussée au point de rendre véritablement inconcevable, pour ceux qui en subissent l'influence, une science pourtant sur la nature considérée comme dans son ensemble. On n'a pas été sans remarquer assez souvent quelques-uns des inconvénients de cette spécialisation, et surtout l'étroitesse de vue qui en est une conséquence inévitable. Mais il semble que ceux-mêmes qui n'en rendaient compte le plus nettement se soient cependant résignés à la regarder comme un mal nécessaire, en raison de l'accumulation des connaissances de détails que nul homme ne saurait embrasser d'un seul coup d'œil. Ils n'ont pas compris, d'une part, que ces connaissances de détails sont insignifiantes en elles-mêmes, et ne valent pas qu'on leur sacrifie une connaissance synthétique qui, même en se bornant encore au relatif, est d'un ordre beaucoup plus élevé, et d'autre part que l'impossibilité où l'on se trouve d'unifier leur multiplicité vient seulement de ce qu'on s'est interdit de les rattacher à un principe supérieur, de ce qu'on s'est obstiné à procéder par en bas et de l'extérieur, alors qu'il aurait fallu faire tout le contraire pour avoir une science possédant une réelle valeur spéculative. Si l'on veut comparer la science ancienne, la physique ancienne, non pas à ce que les modernes désignent par le même mot, mais à l'ensemble des sciences de la nature telles qu'elles sont actuellement constituées, car c'est là ce qui devrait correspondre à la réalité. Il y a donc lieu de noter, comme première différence, la division en multiples spécialités qui sont, pour ainsi dire, étrangères les unes aux autres. Pourtant, ce n'est là que le côté le plus extérieur de la question, et il ne faudrait pas penser que, en réunissant toutes ces sciences spéciales, on obtiendrait un équivalent de l'ancienne physique. La vérité est que le point de vue est tout autre. Et c'est ici que nous voyons apparaître la différence essentielle entre les deux conceptions dont nous parlions tout à l'heure. La conception traditionnelle, disons-nous, rattache toutes les sciences aux principes comme aux temps d'application particulière, et c'est ce rattachement qui n'admet pas la conception moderne. Pour Aristote, la physique n'était que seconde par rapport à la métaphysique, c'est-à-dire qu'elle en était dépendante, qu'elle n'était au fond qu'une application au domaine de la nature, des principes supérieurs à la nature et qui se reflètent dans ses lois. Et l'on peut en dire autant de la cosmologie du Moyen-Âge. La conception moderne, au contraire, prétend rendre les sciences indépendantes en niant tout ce qui les dépasse, ou tout au moins en le déclarant inconnaissable et en refusant d'en tenir compte, ce qui revient encore à la nier pratiquement. Cette négation existait en fait bien longtemps avant qu'on ait songé à l'ériger en théorie systématique sous des noms tels que ceux de positivisme ou d'agnosticisme, car on peut dire qu'elle est véritablement au point de départ de toute la science moderne. Seulement, ce n'est guère qu'au XIXe siècle qu'on a vu des hommes se faire gloire de leur ignorance, car se proclamer agnostique n'est point autre chose que cela, et prétendre interdire à tous la connaissance de ce qu'ils ignorent eux-mêmes. Et cela marquait une étape de plus dans la déchéance intellectuelle de l'Occident. En voulant séparer radicalement les sciences de tout principe supérieur sous prétexte d'assurer leur indépendance, la conception moderne leur enlève toute signification profonde et même tout intérêt véritable au point de vue de la connaissance. Et elle ne peut aboutir qu'à une impasse, puisqu'elle les enferme dans un domaine irrémédiablement borné. Le développement qui s'effectue à l'intérieur de ce domaine n'est d'ailleurs pas un approfondissement comme certains se l'imaginent. Il demeure au contraire tout superficiel et ne constitue qu'en cette dispersion dans le détail que nous avons déjà signalé, en une analyse aussi stérile que pénible, et qui peut se poursuivre indéfiniment sans qu'on avance d'un seul pas dans la voie de la véritable connaissance. Aussi, n'est-ce point pour elle-même, il faut bien le dire, que les Occidentaux en général cultivent la science aussi étendue. Ce qu'ils ont surtout en vue, ce n'est point une connaissance même inférieure. Ce sont des applications pratiques, et pour se convaincre qu'il en est bien ainsi, il n'y a qu'à voir avec quelle facilité la plupart de nos contemporains confondent science et industrie, ou combien nombreux sont ceux pour qui l'ingénieur représente le type même du savant. Mais ceci se rapporte à une autre question que nous aurons à traiter plus complètement dans la suite. La science, en se constituant à la façon moderne, n'a pas perdu seulement en profondeur mais aussi, pourrait-on dire, en solidité, car le rattachement au principe le faisait participer à l'immutabilité de ceci dans toute la mesure où son objet même le permettait, tandis qu'enfermé exclusivement dans le monde du changement, elle n'y trouve plus rien de stable, aucun point fixe où elle puisse s'appuyer, ne partant plus d'aucune certitude absolue, elle en est réduite à des probabilités, des approximations ou à des constructions purement hypothétiques qui ne sont que l'œuvre de la fantaisie individuelle. Aussi même, s'il arrive accidentellement que la science moderne aboutisse par une voie très détournée à certains résultats qui semblent s'accorder avec quelques données des anciennes sciences traditionnelles, on aurait le plus grand tort d'y voir une confirmation dont ces données n'ont nul besoin, et ce serait perdre son temps que de vouloir concilier des points de vue totalement différents, ou établir une concordance avec des théories hypothétiques qui, peut-être, se trouveront entièrement discréditées dans peu d'années. Les choses dont il s'agit ne peuvent en effet, pour la science actuelle, appartenir qu'au domaine des hypothèses, alors que, pour les sciences traditionnelles, elles étaient bien autre chose et se présentaient comme des conséquences indubitables de vérités connues intuitivement, donc infailliblement, dans l'ordre métaphysique. C'est d'ailleurs une singulière illusion propre à l'expérimentalisme moderne que de croire qu'une théorie peut être prouvée par les faits, alors que, en réalité, les mêmes faits peuvent toujours s'expliquer également par plusieurs théories différentes, et que certains des promoteurs de la méthode expérimentale, comme Claude Bernard, ont reconnu eux-mêmes qu'ils ne pouvaient les interpréter qu'à l'aide d'idées préconçues, sans lesquelles ces faits demeureraient des faits bruts, dépourvus de toute signification et de toute valeur scientifique. Puisque nous en sommes venus à parler d'expérimentalisme, nous devons en profiter pour répondre à une question qui peut se poser à ce sujet, ce qui est celle-ci. Pourquoi les sciences proprement expérimentales ont-elles reçu dans la civilisation moderne un développement qu'elles n'ont jamais eu dans d'autres civilisations ? C'est que ces sciences sont celles du monde sensible, celles de la matière, et c'est aussi qu'elles sont celles qui donnent lieu aux applications pratiques les plus immédiates. Leur développement, s'accompagnant de ce que nous appellerions en volonté la superstition du fait, correspond donc bien aux tendances spécifiquement modernes, alors que, par contre, les époques précédentes n'avaient pu y trouver des motifs d'intérêt si suffisants pour s'y attacher aussi au point de négliger les connaissances d'ordre supérieur. Il faut bien comprendre qu'il ne s'agit point dans notre pensée de déclarer illégitime en elle-même une connaissance quelconque, même inférieure. Ce qui est illégitime, c'est seulement l'abus qui se produit lorsque des choses de ce genre absorbent toute l'activité humaine ainsi que nous le voyons actuellement. On pourrait même concevoir que, dans une civilisation normale, des sciences constituées par une méthode expérimentale soient, aussi bien que d'autres, rattachées au principe et pourvues aussi d'une réelle valeur spéculative. En fait, si ce cas ne semble pas s'être présenté, c'est que la tension s'est portée de préférence d'un autre côté et aussi que, alors même qu'il s'agissait d'étudier le monde sensible par la mesure où il pouvait paraître intéressant de le faire, les données traditionnelles permettaient d'entreprendre plus favorablement cette étude par d'autres méthodes et à un autre point de vue. Nous disions plus haut qu'un des caractères de l'époque actuelle, c'est l'exploitation de tout ce qui avait été négligé jusque-là comme n'ayant qu'une importance trop secondaire pour que les hommes y consacrent leur activité et qui devait cependant être développé aussi avant la fin de ce cycle puisque les choses avaient leur place parmi les possibilités qui étaient appelées à la manifestation. Ce cas est précisément en particulier celui des sciences expérimentales qui ont vu le jour en ces derniers siècles. Il y a même certaines sciences modernes qui représentent véritablement au sens le plus littéral des résidus des sciences anciennes, aujourd'hui incomprises. C'est la partie la plus inférieure de ces dernières qui, s'isolant et se détachant de tout le reste dans une période de décadence, s'est grossièrement matérialisée puis a servi de point de départ un développement tout différent dans un sens conforme aux tendances modernes, de façon à obtenir à la constitution de sciences qui n'ont nullement réellement plus rien de commun avec celles qui les ont précédées. C'est ainsi que, par exemple, il est faux de dire, comme on le fait habituellement, que l'astrologie et la chimie sont devenues respectivement l'astronomie et la chimie modernes. Bien qu'il y ait dans ces opinions une certaine partie de vérité au point de vue simplement historique, part de vérité qui est exactement celle que nous venons d'indiquer. Si les dernières de ces sciences procèdent en effet des premières en un certain sens, ce n'est point par évolution ou progrès, comme on le prétend, mais au contraire par dégénérescence et ceci appelle encore quelques explications. Il faut remarquer tout d'abord que l'attribution de significations distinctes aux termes d'astrologie et d'astronomie est relativement récente. Chez les Grecs, ces deux mots étaient employés indifféremment pour désigner tout l'ensemble de ce à quoi l'un et l'autre s'appliquent maintenant. Il semble donc, à première vue, qu'on est encore à faire dans ce cas à une de ces divisions par spécialisation qui se sont établies entre ce qui n'était primitivement que des parties d'une science unique. Mais ce qu'il y a ici de particulier, c'est que tandis qu'une de ces parties, celle qui représentait le côté le plus matériel de la science en question, prenait un développement indépendant, l'autre partie par contre disparaissait entièrement. Cela est tellement vrai qu'on ne sait plus aujourd'hui ce que pouvait être l'astrologie ancienne et que ceux-mêmes qui ont essayé de la reconstituer ne sont arrivés qu'à de véritables contrefaçons, soit en voulant faire l'équivalent d'une science expérimentale moderne avec intervention des statistiques et du calcul des probabilités, ce qui procède d'un point de vue qui ne pouvait en aucune façon être celui de l'Antiquité ou du Moyen-Âge, soit en s'appliquant exclusivement à restaurer un art divinatoire qui ne fut guère qu'une déviation de l'astrologie en voie de disparition et où l'on pourrait voir tout au plus une application très inférieure et assez peu digne de considération, ainsi qu'il est encore possible de le constater dans les civilisations orientales. Le cas de l'alchimie est peut-être encore plus net et plus caractéristiqué. Pour ce qui est de l'ignorance des modernes à l'égard de l'alchimie, elle est au moins aussi grande qu'en ce qui concerne l'astrologie. La véritable alchimie était essentiellement une science d'ordre cosmologique et en même temps elle était applicable aussi à l'ordre humain en vertu de l'analogie du macrocosme et du microcosme. En outre, elle était constituée expressément en vue de permettre une transposition dans le domaine purement spirituel qui conférait à ses enseignements une valeur symbolique et une signification supérieure et qui en faisait un des types les plus complets des sciences traditionnelles. Ce qui a donné naissance à l'alchimie moderne, ce n'est point cette alchimie avec laquelle elle n'a en somme aucun rapport, c'est une déformation, une déviation au sens le plus rigoureux du mot, déviation à laquelle donna lieu peut-être dès le Moyen-Âge l'incompréhension de certains qui, incapables de pénétrer le vrai sens des symboles, prirent tout à la lettre et croyant qu'il ne s'agissait en tout cela que d'opérations matérielles, se lancèrent dans une expérimentation plus ou moins désordonnée. Ce sont ceux-là que les alchimistes qualifient ironiquement de « souffleurs » et de « brûleurs de charbon » qui furent les véritables précuceurs des chimistes actuels. Et c'est ainsi que la science moderne s'édifie à l'aide des débris des sciences anciennes avec les matériaux rejetés par celles-ci et abandonnés aux ignorants et aux profanes. Ajoutons encore que les soi-disant rénovateurs de la chimie, comme il s'en trouve quelques-uns parmi nos contemporains, ne font de leur côté que prolonger cette même déviation et que leurs recherches sont tout aussi éloignées de la chimie traditionnelle que celles des astrologues auxquelles nous faisions allusion tout à l'heure sur le son de l'ancienne astrologie. Et c'est pourquoi nous avons le droit d'affirmer que les sciences traditionnelles de l'Occident sont vraiment perdues pour les modernes. Nous nous bornerons à ces quelques exemples. Il serait cependant facile d'en donner encore d'autres, pris dans des ordres quelque peu différents et montrant partout la même dégénérescence. On pourrait ainsi faire voir que la psychologie telle qu'on l'entend aujourd'hui, c'est-à-dire l'étude des phénomènes mentaux comme telle, est un produit naturel de l'empirisme anglo-saxon et de l'esprit du XVIIIe siècle et que le point de vue auquel elle correspond était si négligeable pour les anciens que, s'il leur arrivait parfois de l'envisager incidemment, ils n'auraient en tout cas jamais songé à en faire une science spéciale. Tout ce qu'il peut y avoir de valable là-dedans se trouvait pour eux transformé, assimilé dans des points de vue supérieurs. Dans un tout autre domaine, on pourrait montrer aussi que les mathématiques modernes ne représentent pour ainsi dire que l'écorce de la mathématique pythagoricienne son côté purement exotérique. L'idée ancienne des nombres est même devenue absolument inintelligible au moderne parce que, là aussi, la partie supérieure de la science, celle qui lui donnait, avec le caractère traditionnel, une valeur proprement intellectuelle, a totalement disparu et ce cas est assez comparable à celui de l'astrologie. Mais nous ne pouvons passer en revue toutes les sciences les unes après les autres, ce qui serait plutôt fastidieux. Nous pensons en avoir dit assez pour faire comprendre la nature du changement auquel les sciences modernes doivent leur origine et qui est tout le contraire d'un progrès, qui est une véritable régression de l'intelligence. Et nous allons maintenant revenir à des considérations d'ordre général sur le rôle respectif des sciences traditionnelles et des sciences modernes sur la différence profonde qui existe entre la véritable destination des unes et des autres. Une science quelconque, suivant la conception traditionnelle, a moins son intérêt en elle-même qu'en ce qu'elle est comme un prolègement ou une branche secondaire de la doctrine, dont la partie essentielle est constituée, comme nous l'avons dit, par la métaphysique pure. En effet, si toute science est assurément légitime, pourvu qu'elle n'occupe que la place qui lui convient réellement en raison de sa nature propre, il est cependant facile de comprendre que, pour quiconque possède une connaissance d'ordre supérieur, les connaissances inférieures perdent forcément beaucoup de leur intérêt et que même elles n'en gardent qu'en fonction, si l'on peut dire, de la connaissance principielle, c'est-à-dire dans la mesure où, d'une part, elles reflètent celles-ci dans tel ou tel domaine contingent et où, d'autre part, elles sont susceptibles de conduire vers cette même connaissance principielle qui, dans le cas que nous envisageons, ne peut jamais être perdue de vue ni sacrifiée à des considérations plus ou moins accidentelles. Ce sont là les deux rôles complémentaires qui appartiennent en propre aux sciences traditionnelles. D'un côté, comme application de la doctrine, elles permettent de relier entre eux tous les ordres de réalité et de les intégrer dans l'unité de la synthèse totale de l'autre. Elles sont, pour certains tout au moins, et en conformité avec les aptitudes de ceux-ci, une préparation à la connaissance plus haute, une sorte d'acheminement vers cette dernière et, dans leur répartition hiérarchique selon les degrés d'existence auxquels elles se rapportent, elles constituent alors comme autant d'échelons à l'aide desquels il est possible de s'élever jusqu'à l'intellectualité pure. Il n'est que trop évident que les sciences modernes ne peuvent à aucun degré remplir ni l'un ni l'autre ces deux rôles. C'est pourquoi elles ne sont et ne peuvent être que de la science profane, tandis que les sciences traditionnelles, par leur rattachement aux principes métaphysiques, sont incorporées d'une façon effective à la science sacrée. La coexistence des deux rôles que nous venons d'indiquer n'implique d'ailleurs ni contradiction ni cercle vicieux, contrairement à ce que pourraient penser ceux qui n'envisagent les choses que superficiellement. Et c'est là encore un point sur lequel il nous faut insister quelque peu. On pourrait dire qu'il y a deux points de vue, l'un descendant et l'autre ascendant, dont le premier correspond à un développement de la connaissance par temps des principes pour aller à des applications de plus en plus éloignées de ceux-ci, et le second à une acquisition graduelle de cette même connaissance en procédant de l'inférieur au supérieur ou encore, si l'on préfère, de l'extérieur à l'intérieur. La question n'est donc pas de savoir si les sciences doivent être constituées de bas en haut ou de haut en bas, s'il faut pour qu'elles soient possibles prendre comme point de départ la connaissance des principes ou, au contraire, celle du monde sensible. Cette question qui peut se poser au point de vue de la philosophie profane et qui semble avoir été posée au fait dans ce domaine plus ou moins explicitement par l'antiquité grecque, cette question, disons-nous, n'existe pas pour la science sacrée qui ne peut partir que des principes universels et ce qui lui enlève ici toute raison d'être. C'est le rôle particulier premier de l'intuition intellectuelle qui est la plus immédiate de toutes les connaissances, aussi bien que la plus élevée et qui est absolument indépendante de l'exercice de toute faculté d'ordre sensible ou même rationnel. Les sciences ne peuvent être constituées valablement en tant que sciences sacrées que par ceux qui, avant tout, possèdent pleinement la connaissance principielle et qui, par là, sont seuls qualifiés pour réaliser, conformément à l'orthodoxie traditionnelle la plus rigouleuse, toutes les adaptations requises par les circonstances de temps et de lieu. Seulement lorsque les sciences sont ainsi constituées, leur enseignement peut suivre un ordre inverse. Elles sont, en quelque sorte, comme des illustrations de la doctrine pure qui peuvent la rendre plus aisément accessible à certains esprits et, par là même, qu'elles concernent le monde de la multiplicité, la diversité presque indéfinie de leur point de vue pour convenir à la non moins grande diversité des aptitudes individuelles de ces esprits dont l'horizon est encore borné à ce même monde de multiplicité. Les voies possibles pour atteindre la connaissance peuvent être extrêmement différentes au plus bas degré et elles vont ensuite en s'unifiant de plus en plus à mesure qu'on parvient à des stades plus élevés. Ce n'est pas qu'aucun de ces degrés préparatoires soit d'une nécessité absolue puisque ce ne sont là que des moyens contingents et sans communes mesures avec le but d'atteindre. Il se peut même que certains parmi eux en qui domine la tendance contemplative s'élèvent à la véritable intuition intellectuelle d'un seul coup et sans le secours de tels moyens mais ce n'est là qu'un cas plutôt exceptionnel et le plus habituellement il y a ce qu'on peut appeler une nécessité de convenance à procéder dans le sens ascendant. On peut également, pour faire comprendre ceci, se servir de l'image traditionnelle de la roue cosmique. La circonférence n'existe en réalité que par le centre mais les êtres qui sont sur la circonférence doivent forcément partir de celle-ci ou plus précisément du point de celle-ci où ils sont placés et suivre le rayon pour aboutir au centre. D'ailleurs, en vertu de la correspondance qui existe entre tous les ordres de réalité, les vérités d'un ordre inférieur peuvent être considérées comme un symbole de celles des ordres supérieurs et par suite servir de support pour arriver analogiquement à la connaissance de ces dernières. C'est là ce qui confère à toute science un sens supérieur ou anagonique, anagogique, plus profond que celui qu'elle possède par elle-même et ce qui peut lui donner le caractère d'une véritable science sacrée. Toute science, disons-nous, peut revêtir ce caractère quel que soit son objectif, son objet, à la seule condition d'être constituée et envisagée selon l'esprit traditionnel. Il y a lieu seulement de tenir compte en cela des degrés d'importance et des sciences suivant le rang hiérarchique des réalités diverses auxquelles elles se rapportent. Mais, à un degré ou à un autre, leurs caractères et leurs fonctions sont essentiellement les mêmes dans la conception traditionnelle. Ce qui est vrai ici de toute science, les mêmes également de toute art, en tant que celui-ci peut avoir une valeur proprement symbolique qui le rend apte à fournir des supports pour la méditation, et aussi en tant que ces règles sont, pour les lois dont la connaissance est l'objet des sciences, des reflets et des applications des principes fondamentaux. Et il y a ainsi, en toute civilisation normale, des arts traditionnels qui ne sont pas moins inconnus des occidentaux modernes que les sciences traditionnelles. La vérité est qu'il n'existe pas en réalité un domaine profane qui s'opposerait d'une certaine façon au domaine sacré. Il existe seulement un point de vue profane qui n'est proprement rien d'autre que le point de vue de l'ignorance. C'est pourquoi la science profane, celle des modernes, peut à juste titre, ainsi que nous l'avons déjà dit ailleurs, être regardée comme un savoir ignorant, savoir d'ordre inférieur qui se tient tout entier au niveau de la plus basse réalité, à savoir ignorant de tout ce qui le dépasse, ignorant de toutes fins supérieures à lui-même, comme le tout principe qui pourrait lui assurer une place légitime, si humble soit-elle, parmi les divers ordres de la connaissance intégrale. Enfermée irrémédiablement dans le domaine relatif et bornée où elle a voulu se proclamer indépendante, ayant ainsi coupé elle-même toute communication avec la vérité transcendante et avec la connaissance suprême, ce n'est plus qu'une science vaine et illusoire qui, à vrai dire, ne vient de rien et ne conduit à rien. Cet exposé permettra de comprendre tout ce qui manque au monde moderne sur le rapport de la science et comment cette même science dont il est si fier ne représente qu'une simple déviation et comme un déchet de la science véritable qui, pour nous, s'identifie entièrement à ce que nous avons appelé la science sacrée ou la science traditionnelle. La science moderne, procédant d'une limitation arbitraire de la connaissance à un certain ordre particulier et qui est le plus inférieur de tous, celui de la réalité matérielle ou sensible, a perdu du fait de cette limitation et des conséquences qu'elle entraîne immédiatement toute valeur intellectuelle, du moins si l'on donne à l'intellectualité la plénitude de son vrai sens, si l'on se refuse à partager l'erreur rationaliste, c'est-à-dire à assimiler l'intelligence pure à la raison ou, ce qui revient au même, à nier l'intuition intellectuelle. Ce qui est au fond de cette erreur, comme d'une grande partie des autres erreurs modernes, ce qui est à la racine même de toute la déviation de la science telle que nous venons de l'expliquer, c'est ce qu'on peut appeler l'individualisme, qui ne fait qu'un avec l'esprit anti-traditionnel lui-même et dont les manifestations multiples dans tous les domaines constituent un des facteurs les plus importants du désordre de notre époque. C'est cet individualisme que nous devons maintenant examiner de plus près. Fin du chapitre 4, intitulé « Science sacrée et science profane », je vais maintenant aborder la notion d'individualisme.

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