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Avec Léo Ferré par Cécile McLorin Salvant
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Avec Léo Ferré par Cécile McLorin Salvant
The passage is a chapter from Charles Gaudelaire's book "Les paradis artificiels, le spleen de Paris". It describes the author's fascination with a woman's hair and how it evokes various emotions and memories. The hair is compared to a dream, an ocean, and a port. The author also reflects on the fleeting nature of time and love. The passage ends with references to soldiers and the inevitability of change. Charles Gaudelaire, Les paradis artificiels, le spleen de Paris Chapitre 17 Un hémisphère dans une chevelure Laisse-moi respirer longtemps, longtemps l'odeur de tes cheveux, y plonger tout mon visage comme un homme altéré dans l'eau d'une sauce, et les agiter avec ma main comme un mouchoir odorant pour secouer des souvenirs dans l'air. Si tu pouvais savoir tout ce que je vois, tout ce que je sens, tout ce que j'entends dans tes cheveux. Mon âme voyage sur le parfum comme l'âme des autres hommes sur la musique. Tes cheveux contiennent tout un rêve, plein de voilures et de matures. Ils contiennent de grandes mers dont les moussons me portent vers de charmants climats, où l'espace est plus bleu et plus profond, où l'atmosphère est parfumée par les fruits, par les feuilles et par la peau humaine. Dans l'océan de ta chevelure, j'entrevois un port fourmi en deux champs mélancoliques d'hommes vigoureux de toutes nations et de navires de toutes formes découpant leur architecture fine et compliquée sur un ciel immense où se prélasse l'éternelle chaleur. Dans les caresses de ta chevelure, je retrouve les longueurs des longues heures passées sur un divan dans la chambre d'un beau navire, bercé par le roulis imperceptible du port entre les pots de fleurs et les gargoulettes rafraîchissantes. Dans l'art d'enfouiller de ta chevelure, je respire l'odeur du tabac mêlé à l'eau pure mais au sucre. Dans la nuit de ta chevelure, je vois resplendir l'infini de l'azur tropical. Sur les rivages du fêté de ta chevelure, je m'enivre des odeurs combinées du boudon, du musc et de l'huile de coco. Laisse-moi mordre longtemps tes tresses lourdes et noires. Quand je mordis tes cheveux élastiques et rebelles, il me semble que je mange des souvenirs. Tout est affaire de décors, changer de lit, changer de corps. À quoi bon puisque c'est encore moi qui moi-même me trahis. Moi qui me traîne et m'épatille et mon ombre se déshabille dans les bras semblables des filles où j'ai cru trouver un pays. Cœur léger, cœur changeant, cœur lourd, le temps de rêver est bien court. Que faut-il faire de mes jours ? Que faut-il faire de mes nuits ? Je n'avais amour ni demeure nulle part où je vive ou meurs. Je passais comme la rumeur, je m'endormais comme le bruit. Est-ce ainsi que les hommes vivent et leurs baisers au loin les suivent ? C'était un temps déraisonnable, on avait mis les morts à table. On faisait des châteaux de sable, on prenait les loups pour des chiens. Tout changeait de pôle et d'épaule, la pièce était telle ou non drôle. Moi, si j'y tenais mal, mon rôle, c'était de n'y comprendre rien. Dans le quartier aux Fentes Solernes, entre la Sarre et les casernes, comme les fleurs de la luzerne fleurissaient les seins de Lola. Elle avait un tas d'hirondelles sur le canapé du bordel. On venait s'allonger près d'elle dans les roquets du pianola. Est-ce ainsi que les hommes vivent et leurs baisers au loin les suivent ? Le ciel était cueilli de nuages, il y volait des oies sauvages qui criaient la mort au passage. Au-dessus des maisons, les quais, je les voyais par la fenêtre. Leurs chanteries s'entraient dans mon être, et je croyais y reconnaître du râleur Marie-Harie le Quai. Elle était brune, née pour son blanche, ses cheveux tombaient sur ses hanches. Et la semaine, et le dimanche, elle ouvrait à tous ses bras nus. Elle avait des yeux de faïence, elle travaillait avec vaillance, pour un artilleur de Mayence qui n'en est jamais revenu. Est-ce ainsi que les hommes vivent et leurs baisers au loin les suivent ? Il est d'autres soldats en ville, et la nuit monte les civils. Remets du rimel à tes cils, mets l'usine qui t'en ira bientôt. Encore un verre de liqueur, ce fut un abri à cinq heures, au petit jour que dans ton cœur, un dragon plongea son couteau. Est-ce ainsi que les hommes vivent et leurs baisers au loin les suivent ? Comme des soleils révolus.