Construire l’improbablité

The speaker discusses the difference between artificial intelligence (AI) and human creativity in writing. They argue that AI calculates the most probable word, while a skilled writer surprises the reader with unexpected choices, similar to a soccer player dribbling past defenders. They emphasize the importance of unpredictability, originality, and fluency in writing, contrasting it with the predictability of AI. They find beauty in the idea that great writing is improbable and that human style sets us apart from machines. They suggest that embracing improbability could be a way to preserve human uniqueness in the face of AI. They conclude by reflecting on the quote "Style is the man himself" and the singularity of human style compared to machines. They consider the idea that humans are already inherently improbable and that this sets us apart from other sciences. Il y aurait une réflexion géniale à avoir sur le fait que c'est probabilitaire, c'est-à-dire que ça calcule le mot le plus probable après le suivant. Pour moi, c'est exactement l'inverse de ce qu'un auteur digne de ce nom fait. La puissance de sa syntaxe, c'est qu'elle dribble en permanence. Moi, j'adore le foot, donc je fais comparaison avec Léo Messi. Il a peut-être fait 700-800 matchs dans sa carrière. Tout le monde a vu ses vidéos. Tous les défenseurs du monde ont vu ses vidéos. Merci ! Merci, merci, merci ! Et pourtant, quand il arrive face à un défenseur, il arrive encore à dribbler. Il va par sa position de corps, par sa créativité, par l'espèce de prédiction qu'il va faire sur le geste du défenseur, etc. Il va toujours faire le geste que tu n'attends pas et passer. Et pour moi, un grand écrivain, c'est ça. Il rentre avec les trois premiers mots. Il va dire à l'aube. Et dès le troisième mot, tu as un dribble. Tu ne t'attends pas à ce qu'il va faire. Et puis, il continue. Il rentre dans la phrase. Il rentre dans la subordinée. Et tout d'un coup, il prend une oblique, puis une autre oblique. Et ça bifurque. Et ce n'est jamais le mot que tu attendrais. Ce n'est jamais ce que ton cerveau va... Et pourtant, quand tu as lu toute la phrase, c'est fluide. Et ça, c'est génial. Et ça, c'est très dur à faire. Et c'est l'inverse exactement de ce que fait l'IA, puisque l'IA va toujours te mettre le mot le plus probable à chaque fois. Donc, pour nous, c'est super exigeant. Et c'est génial parce que ça nous oblige à être dans l'excellence de l'imprévisibilité, de l'originalité, de la singularité, tout en ayant un style parfaitement accessible, visible, fluide. C'est génial. J'adore ce combat contre la probabilité. J'adore le fait qu'en fait, moi, je suis une improbabilité. Et que la grande écriture, elle est improbable. Et elle ne fait que deux mots plus loin. Tu ne sais pas ce qui va se passer. Et pourtant, quand ça arrive, tu te dis, ah ouais, c'est génial. J'adore ce défi, ouais. C'est un truc super intéressant. Ça nous met face à ça. Est-ce que tu veux un café ou un autre truc ? Voilà, on s'est arrêtés là. J'ai stoppé l'enregistreur. Alain m'a fait un café. On a ouvert la baie vitrée de son salon. On est sortis pour regarder la montagne. Et on n'a jamais repris l'enregistrement. On est partis se balader dans les alentours. Et on a discuté à bâtons en cul. Mais j'ai repensé à ce qu'Alain vient de dire sur le style, le dribble et l'improbabilité. C'est très beau, je trouve. Déjà, c'est très beau comme définition du style en littérature. Mais c'est beau très au-delà. Parce que ça répond peut-être à la question plus générale de la singularité humaine à travers le style littéraire. Et ça me rappelle cette très célèbre phrase de Buffon. Le style est l'homme même. Est-ce qu'il aurait imaginé que cette phrase serait encore plus vraie, peut-être, près de 300 ans plus tard ? Et c'est très beau ce que dit Alain. Parce que l'improbabilité pourrait être une bonne piste pour imaginer la singularité par rapport aux machines. Chercher l'improbabilité. Construire l'improbabilité. Être ce qui échappe au calcul probabiliste. Et d'ailleurs, je me dis que c'est déjà le cas. L'humain est assez improbable quand on y réfléchit. C'est sans doute pour ça que les sciences humaines ne sont pas des sciences comme les autres. J'arrête là parce que je sors de mes compétences.