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The speaker is discussing the challenges of cooking vegan and specifically mentions the difficulty of finding substitutes for eggs. They mention alternative options for milk and butter, but express frustration at not being able to find a replacement for eggs. The speaker's mother believes that vegan products are too sweet and shares this opinion with others. The speaker reflects on their family dynamics, with them being the only vegan and not being a skilled cook. They also mention their mother's passion for cooking and her tendency to experiment with ingredients. The speaker feels that their mother's freedom ends when it comes to receiving feedback on her cooking. The speaker reflects on their mother's storytelling abilities and her sincerity, but also notes that she tends to hide her true feelings. The speaker mentions their mother's burnout and her need for comfort. They also mention a student who is absent from school as a form of rebellion. The speaker reflects on their mother's j Le plus dur, Célia, c'est les oeufs. Le reste, je veux bien. Le lait, à la limite, on a le soja, l'amande, la coco, le riz. Pour le beurre, on a la margarine. Mais les oeufs, comment est-ce que je fais, moi, sans les oeufs ? L'aquafaba, oui, pour les blancs, mais le jaune. Maman dit, péremptoire, la tête inclinée, la bouche en coupole, le problème des produits véganes, c'est que c'est très sucré. Elle le dit à ses collègues, aux collègues de son mari. Elle le dit à Tomienne, si je ne vivais pas à 400 kilomètres. Elle le dit aux repas de famille, qui sont en réalité des repas normaux, auxquels s'amalgame une ou deux personnes comme ramassées sur la route, dont on ne sait plus exactement à quand remonte notre dernière dispute, et si ce jour-là éclatera la prochaine. Bien sûr, personne n'est végane dans ma famille, sauf moi. Cela dit, c'est vrai que je ne cuisine pas. Enfin, si, de temps en temps, je glisse quelque chose dans le four, je l'oublie, et il ressort invariablement au format parpaing. Cela n'a pas d'odeur. Peut-être celle du feu, ce qui n'est pas étonnant compte tenu de l'alarme incendie qui hurle à la mort depuis cinq minutes et que je ne parviens pas à éteindre. Je me dis qu'il faudrait qu'elle sonne avant les premières morceaux, en prévision du drame. Une alarme spéciale Célia, qui d'une voix douce susurrait « Ne seriez-vous pas en train d'oublier la tarte aux poireaux à 2,5 ingrédients que vous avez fait cuire il y a 45 minutes à 200 degrés ? » Pour ma défense, ce n'est pas un vrai four, c'est un micro-four. Mon frère m'avait demandé avant Noël si j'avais un four micro-onde. J'ai répondu oui. Il m'a offert une bouillotte à faire chauffer au micro-onde. J'ai appris à mes dépens qu'un micro-onde n'avait, malgré la proximité des termes qui le composent, rien à voir avec mon micro-four. Maman n'est jamais plus libre que devant une recette de cuisine. Elle triture les ingrédients, leur fait subir des régimes sauvages. 200 grammes de sucre ? Non, 5 grammes, ça ira très bien. Elle jette dans un récipient des œufs de citron, de la fleur d'oranger, de la pelure d'orange, et vous fait deviner l'ingrédient mystère ? Alors tu devines ? J'ai, à mon actif, un total de zéro ingrédient mystère deviné. Je soupçonne ma bouche de n'être pas reliée à mes connexions neuronales. La liberté de ma mère s'arrête à la sortie du four. Elle s'enchaîne à nos regards jamais assez doux, nos mots jamais assez polis, nos gourmandises qui ne tiennent pas la distance qui la séparent encore de ce qu'elle fait. C'est pas bon ? C'est peut-être pas assez sucré ? Oh là là, la tronche qu'il a, mon gâteau ! Le rire de ma mère est dans le tire-bouchon. On fait semblant de ne pas le voir s'échapper d'elle comme les bulles de la bouteille qu'on ouvre pour fêter la fin du jour, la tombée de la nuit, le retour des enfants, le week-end. Le week-end, cette année, commence le mercredi. Il arrive de plus en plus tôt. Peut-être qu'un jour, la semaine ne sera qu'un long week-end, et alors tout ira mieux. Pour l'heure, ce n'est pas la fin du monde, et c'est vrai qu'elle est drôle quand elle raconte, à la fin du premier vers, les champignons qu'ils ou elles ont pris, elle et mon père, un soir de 1900, et que dans la rue, les gens avaient une tête immense et violette et verte et multicolore, et qu'elle les trouvait marrants, les gens, à se balader avec leur tête énorme comme ça, à l'air de rien. Mon père est drôle, mais on ne peut pas rivaliser avec ma mère quand elle s'y met, parce qu'elle ne fait pas semblant quand elle raconte. Il n'y a pas d'effet, pas de chute, pas de fausse humilité mal camouflée entre les lignes d'une histoire censée nous peindre en héroïne. Il n'y a pas d'ego. Elle est toute entière à son histoire. Elle en oublie la moitié, elle commence au milieu, elle éclate de rire, elle nous laisse comme ça, parfois cinq minutes sur le palier du récit. Il y a toujours quelque chose qui finit par sortir d'elle, ou bien des onomatopées, des sons aigus, ou bien son ventre qui fait du bruit, ou le plus souvent des larmes. Ma mère est inexorablement sincère. La seule personne à qui elle ment, c'est à elle-même. Post-burnout, elle a passé sa peau, ses yeux, son rire aux lames noires, à répressif jusqu'à son horizon. Réglage indispensable pour ne plus s'effondrer. Fondre le costume dans la peau, se draper du nom des autres, des élèves, des collègues. Comment appelle-t-on une chute que le choc n'arrête pas ? Elle dit je n'ai pas traîné toute ma vie pour me retrouver dans un quinze mètres carrés. Elle dit j'aime trop mon confort. Elle appelle confort à l'écoute téléphone à toute heure qui ralentisse le rythme deux fois, cassant l'élan et ajoutant une case à cocher avant la dernière sonnerie, celle qui ne sonne que dans nos têtes. La case est un être humain, une adolescente à qui on ne peut pas dire non, parce que c'est ce que les autres ont trop fait. C'est pour ça qu'elle crie en classe, c'est pour ça qu'elle pleure, c'est pour ça qu'elle est absenteilliste. Elle n'est pas absente, non, elle est absenteilliste. C'est un culte qu'elle voue à sa disparition parce qu'on ne lui a jamais dit qu'elle avait le droit d'être là. La femme dit ce que j'aime dans ce métier c'est la simulation, c'est que les gens ne se ressemblent pas. Pourtant elle dit aussi que chaque année c'est pareil, le même tunnel les premières semaines qui durent en réalité jusqu'à janvier. Elle ne peut plus blâmer le travail, elle l'a déjà fait. Alors pour que rien ne change, elle a tout changé. Elle dit travail, passion. Elle dit heureusement que j'ai le travail parce qu'à la maison c'est pas la joie. J'avais entendu cette phrase, il faut que tout change pour que rien ne change en cours d'histoire. Je ne l'avais pas comprise. Je crois que c'est ça, repeindre la couleur des murs pour oublier qu'ils sont moisis. Elle attend. Elle attend dans une salle d'attente son numéro sans guichet, juste un miroir pour se maquiller de temps en temps, être présente au monde plutôt qu'à soi. Je fais l'effort. Je me regarde. Je sais bien qu'elle vient de là ma spirale, ma suite en avant, ma sacculté étourdissante à partir, mon courage, mon adaptabilité. Au fond je fais pareil que toi mais à l'envers.